état
de la ville et faubourgs de Bordeaux,1650
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nationales: IiG, vol. 1219, p. 109. communiqué par M. Tamizey de
Larroque.
La
situation de cete ville est plus avantageuse et plus commode pour le
commerce que pour la guerre, et ce grand fleuve, qui luy porte
l'abondance des provinces voisines et des estrangeres, la rend de ce
costé de la mer sujette à craindre tous ceux qui en seront les
maistres par une armée navale.
Le
terrain des environs, et principalement aux lieux d'où elle peut
estre attaquée, est assez bon pour faire les tranchées, mais il ne
vaut rien du tout pour faire des fortifications et des retranchements
à l'espreuve des pluyes. Et toute la terre autour de Bordeaux a
cette propriété commune avec le naturel des habitants, que pendant
le beau temps et la saison favorable ce n'est que poudre que le vent
emporte, et dans l'hyver et le mauvais temps au contraire ce n'est
que boue qui se laisse fouler aux pieds.
Presque
à toutes les portes de ville les immondices et délivres des
batimens qu'on y a jetées ont élevé des buttes, qui peuvent servir
de cavaliers pour la battre en ruine.
Du
costé de la rivière, depuis la porte Sainte-Croix jusqu'à
l'escluse des fossez du Chasteau-Trompete, la muraille est sans aucun
rempart et les petites tours qui la flanquent ne la rendent pas plus
forte. Les maisons de plusieurs particuliers sont apuyées dessus et
l'ont mesme percée en plusieurs endroits pour la commodité de leurs
vues et descharge. Tellement que si des vaisseaux pouvoient
s'aprocher, deux ou trois bordées de leurs canons renverseroient non
seulement les murs, mais plusieurs maisons encor et des plus
séditieux.
La
démolition du Chasteau-Trompete a fort esbranlé toutes ses tours,
et ils ont esté mesme assez mal habiles pour garder les parapets et
défenses. Toute la courtine depuis le Chasteau-Trompete jusqu'à la
porte Saint- Germain n'a ny rempart ni terrasse. Il est vray qu'il y
a derrière une place assez grande pour se retrancher, mais si on
avoit gagné la tour qui fait le coin, ou la porte Saint-Germain et
son boulevard, on se saisiroit avec facilité des couvents des
Jacobins et des Récollets et de la terrasse, qui est derrière
lesdits monastères, dont on peut battre les autres quartiers de la
ville.
Le
faubourg, dit les Chartreux, est de ce costé là le long de l'eau et
bien que ses avenues soient assez facheuses à cause des divers
canaux, vignes et fossez en terre grasse, qui sont le commencement
des marais vulgairement appelez les paluds de Bordeaux, neantmoins,
du costé du Palais-Galiene, qui sont les ruines d'un vieil
amphithéâtre, on peut s'en rendre maistre sans que le canon de
Bordeaux puisse incommoder le marché et la mousqueterie, encor moins
dès qu'on aura joint les maisons qui sont derrière le palemail.
Le
grand chemin qui vient de Blanquefort passe dans ce Palais-Galiene et
de là mesme on peut couper chemin aux troupes que les Bourdelois
tiennent audit faubourg en divers postes, et éviter les difficultez
qui se rencontreroient aux ataques qui se feroient le long de l'eau,
et l'on ne peut venir que par un defilé d'une demie-lieue, exposé
au feu des galiotes et autres petits vaisseaux desdits Bordelois, et
ce chemin est encore traversé de plusieurs grands ruisseaux qui se
deschargent
dans la rivière depuis le pré de Cor, vis à vis de Lormont.
Avant
prendre ce poste, il semble que la disposition des lieux rend
l’attaque du faubourg Saint-Seurin nécessaire. II est très
accessible, tant du costé dudit Palais-Galien que par les chemins de
Caudeiran et Merignac et Bruges, qui sont assez larges pour marcher
en bataille.
L'eglise
de Saint-Seurin et son cimetiere peuvent avoir esté retranchez mais
il y a des maisons attenantes qui, si elles n'ont esté abatues,
rendent tous les travaux qui y seront faits inutiles et aisez à
forcer.
La
courtine, depuis la porte Saint-Germain jusqu'à Porte-Dijaux et qui
regarde ledit faubourg de Saint-Seurin, est bien retranchée, et les
fossez sont fort profonds et un ruisseau coule tout à l'entour, mais
le parapet et défenses sont de muraille si faible qu'après trois
coups de fauconneau il n'y a personne qui put se tenir derrière pour
la défendre.
La
porte Dauphine qui est au milieu de cette courtine, est fermée à
présent.
A
la Porte-Dijaux il y a un boulevard en forme de tour bien terrassé,
mais la butte voisine qui s'est formée des décharges de la ville
est de ce costé là plus haute que le boulevard et commande tout ce
quartier de ville.
Si
on tient la maison des pères Chartreux, il est aisé le long des
nurs de leur enclos et des maisons qui sont en suite de gaigner cete
butte. Ladite Chartreuse est d'autant plus considérable que toutes
les eaux qui passent dans Bordeaux y passent et on les peut de là
deriver et faire perdre dans les marais derrière Saint-Seurin. Ce
sont les deux ruisseaux nommez du Peugue et de la Deveze, qui
netoyent les ordures de la ville et vuident l'infection de
l'escorchere et des tanneries.
Entre
ces deux ruisseaux et le marais desséché par le feu cardinal de
Sourdis, toute la muraille qui le regarde est sans aucun rempart n y
terrasse, mais le costé du jardin de l'archevesché que le Peugue
arrose et par où il entre dans la ville proche le couvent des
Minimes, une grosse tour du chasteau et une fausse braye defendent
cete courtine, qui est par ce moyen et par les retranchemens qui se
peuvent aisement faire dans ledit jardin, flanquée de tous costés,
outre que l'accez en est difficile et fort decouvert dans le marais,
où la terre n'est pas ferme ny capable
de
soutenir le moindre retranchement et est sujete aux inondations.
Tellement
que de ce costé on peut seulement esperer d'y entrer par surprise
plustot que par force.
La
courtine du chasteau du Ha et la tour quarrée, qui regarde le
marais. n'est point terrassée, non plus que toute celle qui est
environ de deux cens pas depuis ledit chasteau à la plate forme
qu'on appele, où le feu maréchal de Roquelaure fit planter une
ormée. Les fossez de ce costé sont assez creux et secs, mais entre
ladite plateforme et la muraille de la ville qui n'est pas plus
espaisse qu'un mur de refend, il y a un espace qui donneroit lieu à
une bresche fort accessible si depuis peu on ne l'a comblé. Ladite
terrasse ou plate-forme dure jusqu'à la porte Sainte-Eulalie, d'où
jusques à la porte Saint-Julien la terrasse n'est pas pour soutenir
des canons de baterie, est mal flanquée en dehors et dedans comme
plusieurs maisons de petits artisans. Le fossé est bas et sec, et
mesme
autour du boulevart de la porte Saint-Julien qui n'est point
terrassé, il n'y a point de fossé.
Pour
revenir à cete ataque, il faudroit se saisir auparavant du village
appelé des Gahets qu'on peut ataquer par trois grands chemins, celuy
des Landes et Bayonne, de Castres et de Begle.
Depuis
la porte Saint-Julien jusqu'à la riviere, les murailles sont bien
terrassées et il y a un bastion très regulier avec casemates et
fausse braye à ses orillons qui est un beau commencement de
citadelle qu'Antoine, roy de Navarre, fit bastir. La muraille en est
très espaisse et son fossé est un marais formé par le ruisseau qui
vient de Begle et qui fait moudre le moulin de Sainte-Croix, le seul
qui soit dans la ville à eau et qui rend en vingt-quatre heures
cinquante sacs de farine. Le ruisseau
peut
estre coupé à Begle, au lieu appelé le Pont-du-Guit, ou à la
maison dite le Marquisat.
Le
mur depuis le bastion de Sainte-Croix et la tour qui est à cele
extremité de ville sont sans terrasse et ne seroit pas difficile à
prendre
si
on tenoit l'hospital des manufactures, ouvrage imparfait du feu
archevesque, sur le bord de l'eau. Ce quartier est celuy des petites
gens, qui excitent ordinairement les seditions.
Il
n'y a pas à Bordeaux plus de trente-cinq pieces de canon qui
puissent estre mises sur le rempart, dont il y en a douze seulement
de baterie. Ils ont assez de boulets trouvez dans le
Chasteau-Trompette, mais peu de calibre, de sorte qu'il y a plus à
aprehender qu'on les charge de cartouches pour incommoder les
aproches ou les soldaIs dans la tranchée que non pas qu'ils puissent
demonter les pieces qui seront mises en baterie.
JI
peut y avoir en tout cinq mil six à sept cens hommes propres à
porter les armes, entre lesquels il y a plusieurs advocats,
procureurs et artisans qui, ayant deschargé leurs mousquets,
chercheront à se retirer plustot qu'à metre la main à l'espée, et
si au premier choq ils sont batuz, une telle consternation les
prendra qu'ils viendront tous reclamer la misericorde du Roy.
La
plus part de ceux qui veulent la guerre et font les seditions sont de
mesme humeur et moeurs que les voleurs et filoux, qui bazardent leur
vie et l'exposent au gibet pour passer joyeusement quelque journée
dans la dissolution et la debauche, et comme le peuple de Bordeaux
est naturellement orgueilleux, faineant, aime la bonne chere et le
bien qui ne couste point de peine et qu'on n'acquiert pas avec
industrie, le desordre et la confusion qui suit la guerre luy plaist
parce qu'elle donne lieu de se servir impunement du bien d'autruy et
vivre à credit, sans payer ses
debis
et aux despens de ses creanciers. Le parlement aussi bien que les
autres ordres est presque composé de cete sorte de gens qui ne
trouvent point dans l'estroite condition de leurs fortunes d'estat
pire que celuy de la paix et du bon ordre, tellement qu'on peut dire
que toute cete guerre a esté plustot declarée contre la justice, la
discipline publique et les bonnes moeurs, que contre le gouverneur.
C'est
ce qui leur a fait souhaiter un changement d'Etat et songer à
l'erection de leur ridicule Republique, traiter avec l'estranger et
ennemy de l'Estat et par l'union et correspondance avec les autres
factieux et brouillons du royaume, fomenter la guerre civile pour
maintenir cete anarchie et conserver leur libertinage.
Ce
n'est pas que parmy tous ces espritz desardonnez, il n'y en ayt de
très ambitieux qui voudroient profiter dans le trouble et plus encor
d'interessez, mais generalement tous les autres, tant officiers que
simples bourgeois qui n'ont pas l'esprit de revolte, sont de bon
naturel, mais si mol et timide et si peu vigoureux qu'ils croyent
faire beaucoup de conserver dans le coeur de bonnes intentions sans
les ozer manifester; et les autres qui sont tombez dans l'erreur et
la maladie du siecle sont plus dignes de pieté que de chastiment et
ont besoin à l'avenir d'estre fortifiez par le restablissement de
l'authorité royale et qu'il y ayt quelque frein à la licence de la
populace, qui donne de la terreur aux malicieux, qui s'en servent
pour brouiller, et d'appuy aux bons serviteurs du Roy, qui ne
desirans que la gloire ne demandent pour recompense de leurs pertes
que sa protection et luy souhaitent autant de victoires que son
innocence en a merité jusqu'à present et que sa valeur luy en va
doresnavant gaigner.
On
pourroit donner une connoissance plus exacte et plus ample de
l'humeur, habitudes, inclinations et interest de famille de presque
tous les particuliers qui paroissent dans cet humble theatre, si la
deduction n'en estoit trop longue et trop inutile au present memoire.
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